Faut-il mélanger les boues avec les biodéchets?

C’est la question que se pose actuellement le ministère de la transition écologique et solidaire suite aux conclusions du groupe de travail national sur la méthanisation. Réuni en amont du salon de l’agriculture par le Secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu, ce groupe de travail était chargé de proposer des solutions pour accélérer le développement de la méthanisation en France. Conduit indépendamment de la Feuille de route économie circulaire et des Etats généraux de l’alimentation, l’une des 15 conclusions se trouve malheureusement en contradiction avec ces travaux et suscite beaucoup d’inquiétude au sein de la filière biodéchets. Celle-ci vise à autoriser les mélanges de boues et de biodéchets afin de rentabilisation les projets de méthanisation des boues de grandes stations d’épuration, dont la généralisation est d’ailleurs l’une des autres propositions.

Convié à participer au groupe de travail en charge de définir les conditions de ces mélanges, notre Réseau a présenté ses réserves et appelé à un encadrement le plus exigeant. En effet, nous devons rester crédibles vis-à-vis de nos concitoyens et du monde agricole, d’une part pour garantir la participation au tri et d’autre part pour pérenniser le retour au sol des biodéchets.

La généralisation du tri à la source des biodéchets n’a pas vocation à permettre la généralisation de la méthanisation des boues.

La méthanisation des biodéchets triés à la source est une des solutions pour atteindre les objectifs de production de gaz renouvelables prévus par la LTECV. Cette filière, acceptée par le monde agricole, n’a nullement besoin du gisement des boues pour exister et remplir son rôle énergétique. En revanche, les boues présentent un potentiel méthanogène faible (1% des besoins énergétiques nationaux) et viser à généraliser leur méthanisation conduit à vouloir capter d’autres gisements, dont celui des biodéchets. Cette stratégie revient à sacrifier la filière biodéchets pour faire exister la filière de méthanisation des boues.

Le message de qualité adressé aux usagers doit être respecté pour garder du sens au tri 

Les usagers sont de plus en plus conscients des enjeux environnementaux et exigeants quant aux réponses que nous leurs apportons. Or, l’acceptabilité sociale des boues étant extrêmement faible, ces mélanges auront un effet contre-productif sur le développement de la collecte séparée des biodéchets. Nous risquons d’affaiblir considérablement le discours de notre filière sur la qualité et le retour au sol, et de perdre ainsi le sens auquel la population adhère aujourd’hui.

Le développement de la méthanisation agricole constitue une opportunité unique pour pérenniser le tri à la source des biodéchets

Une fois les mélanges de boues et de biodéchets autorisés, de nombreuses grandes stations d’épuration se positionneront sur le traitement de ce nouveau gisement. Cette filière viendra concurrencer directement la méthanisation agricole. Sans limites à ces mélanges, une grande partie du gisement de biodéchets sera alors captée par cette filière. Les biodéchets pourront parcourir des kilomètres sans logique territoriale. Ce phénomène s’observe déjà sur les grand méthaniseurs industriels. On perdra alors l’opportunité de développer des filières locales et de qualité, en synergie avec le monde agricole, condition pourtant nécessaire pour asseoir un pacte de confiance et garantir la pérennité du retour au sol des biodéchets.

Les mélanges de boues et de biodéchets abaissent la qualité des biodéchets et dépossèdent l’agriculture d’un amendement de qualité

Au delà des critères d’innocuité suivis actuellement en cas d’épandage, on sait que les boues contiennent d’autres polluants : perturbateurs endocriniens, micro-plastiques, restes médicamenteux… dont les impacts sur l’environnement, et en particulier sur l’eau, ne sont pas maîtrisés. La filière biodéchets n’est pas sujette à ces problématiques qui requièrent aujourd’hui notre plus grande vigilance. En plus de la perte d’image, ces mélanges présenteront une moindre qualité agronomique et perdront donc en valeur marchande.

Aujourd’hui, il y a une contradiction à rendre ces mélanges possibles sachant qu’ils ne sont pas acceptés en Agriculture Biologique, ni dans la plupart des démarches qualité. D’un côté, on demande au monde agricole d’évoluer vers de meilleures pratiques, tout en risquant de lui supprimer un amendement de qualité utilisable en agriculture biologique.

De notre avis, l’enjeu n’est pas uniquement de poser des limites qualitatives, car la question n’est pas scientifique, mais politique. En effet, l’objectif est de préserver l’équilibre actuel sur lequel repose le bon développement du tri à la source des biodéchets et de poser les bases du pacte de confiance avec le monde agricole. Ainsi, nous pensons nécessaire de poser un cadre strict visant à limiter les mélanges de boues et de biodéchets en méthanisation au regard des seules logiques territoriales.